Je marche sur une draille en Lozère.

C’est l’été, une soirée d’été où la montagne exhale ses plus beaux parfums. Je marche donc tranquillement. Les noisetiers me caressent de leurs feuilles. Les framboises et mûres se font appétissantes. Les vaches me regardent, me surveillent et puis se désintéressent de moi. Elles ruminent tranquillement. Je marche et je suis bien. La nature est apaisante et cela me porte vers la rêverie, l’évasion de l’esprit. Je marche sur cette draille entre les murs de pierres moussue. Ces murets qui semblent être là depuis la nuit des temps. Mon regard s’accroche à ces pierres. Ou plutôt les pierres accrochent mon regard. Vous savez bien, ces pierre patinées par le temps qui passe, façonnées par les hommes. Ces pierres là sont particulières, car ces pierres m’appellent. C’est un sentiment étrange, peut-être bien de la magie, qui peut savoir.
Ces pierres m’attirent disais-je et il faut que je les touche. Elles sont douces et rugueuses, chaudes et fraiches, tendres et dures. Je pose donc ma main sur l’une d’elles et je ferme les yeux et là je sens la vie de la pierre. je me sens comme aspirée par elle, c’est comme le vertige, c’est un appel avec la sensation de basculer de l’autre coté du temps

une draille en lozère

Mais me direz-vous que me disent-elles ces pierres ?

Elles me racontent la vie, la vie d’hier à aujourd’hui. La vie de ce pays austère mais si beau qu’est la Lozère. Elles me racontent ces hommes et ces femmes qui durant des générations ont travaillé leur terre avec amour, avec peine mais toujours avec ce sentiment de faire pour la génération suivante, en respectant les saisons, en prenant le temps de faire et en sachant savoir attendre que la nature fasse ce qu’elle peut offrir. Et je vois le paysage façonné à la force des bras, à la sueur de leur front, à l’usure de leur dos. Je vois le père qui, assis au soleil sur le banc de pierre, attend que la famille rentre des champs. Vous savez bien ce papé appuyé sur sa canne ou en train de faire un panier en châtaignier. L’ancien, celui que l’on respecte, celui vers qui l’on se tourne pour demander conseil pour l’ensemencement des terres, sur le temps qu’il va faire. L’ancien qui sait si bien raconter les histoires les soirs de veillée, installé dans le cantou, du temps où la bête rodait et que la mort était peut-être là tapie dans les forêts sombres et hostiles. C’est celui qui transmet à la jeune génération. Le papé qui fait des poutoun qui piquent les joues des petits-enfants et qui sait leur fabriquer ces jouets en bois dont les petits raffolent. Celui qui tape du poing sur la table pour rétablir l’ordre. Celui dont on s’occupe car avec la mamé, ils ont fait leur temps sur la ferme et qu’à présent ils ont droit au repos. La mamé qui sait si bien préparer les tomes, les fameuses tomes de chèvre. C’est elle qui sait réconforter l’enfant qui pleure en essuyant de ses mains fripées, les larmes. Les mains de la mamé abimées par de nombreuses corvées. Faire bouillir le linge avec comme seul détergent de la cendre. S’occuper de la maison, des enfants, des bêtes et de ne pas compter ses heures ni aux champs, ni aux étables. La mamé qui sait comme personne préparer les terrines, les caillettes, la charcuterie provenant du cochon que la mamé a engraissé pendant des mois, en lui préparant de bonne bacade. Les poêlées de châtaignes que l’on mange le soir près de la cheminée. La mamé qui a brodé le trousseau de sa fille et que l’on peut honorer du titre de "petite main". La mamé qui avec son homme a traversé bien des tempêtes. La vie n’épargne personne.

avec mon fils sur la draille

J’entends la vie d’avant, les bêtes qui rentrent à l’étable, poussées par les enfants, et il faut être bien attentif car les chèvres profitent du moindre défaut de surveillance pour aller se régaler dans le potager du voisin.

J’entends le bruit de la pierre qui aiguise la faux. Cette faux que l’homme manie en des gestes réguliers et qui couche le blé. Gestes qui le soir venu entrainent des douleurs lancinantes. J’entends la hache les journées d’hiver pour la corvée de bois.

Je sens l’odeur du foin, l’odeur de l’étable, l’odeur du sang du cochon que l’on saigne, l’odeur des cèpes fraichement cueillis ; l’odeur de la grande cheminée de pierre. L’odeur de la terre après la pluie d’automne. L’odeur de l’averse de printemps juste avant qu’elle ne commence. On sait qu’il va pleuvoir car on le sent. L’odeur de la nuit tiède l’été, glaciale l’hiver.

J’entends et je vois cette vie, pas si lointaine que cela finalement. Cette vie que nos grands-parents ont connu. Cette vie usante, faite de travail sans relache. Les 35h cela les feraient bien rire. Cette vie qui rendaient vieilles les femmes à 40ans et qui vivaient sous l’autorité du père et du mari. Cette vie qui faisait que le père était courbé en deux, l’échine usée par les travaux de la terre et qui faisait dire qu’il était bien vieux si il mourait à 70 ans.

Mais cette vie là était belle. Belle par l’amitié et l’entraide des gens. Belle les soirs de repas de moisson, de vendanges ou pour le jour du cochon. Les soirs de veillées pendant l’hiver où l’on va chez les voisins passer la soirée, soirée pendant laquelle on se resserre autour du feu. L’ancien parle du temps jadis. Les enfants s’effraient ou rient aux gré des histoires. Les femmes en profitent pour filer, tricoter et papoter. Les hommes confectionnent des paniers, des outils usuels. Les veillées maintiennent un lien social très important.

Ces pierres me parlent tout simplement de mes racines. Elles me disent d’où nous venons. Je peux ainsi avancer vers l’avenir sans crainte car je sais que derrière moi les anciennes générations me servent de tuteur et mes racines sont bien profondes, plongées au coeur de cette terre qui a fait vivre tant de générations avant nous et qui assure l’avenir.

Vous voyez, au final pas besoin de télé, de radio, de mp3, d’internet. Il suffit juste de vous arrêter sur une draille et d’écouter ce que la nature vous dit. Et de plus les pierres sont très bavardes et les histoires belles.

les pierres