Je me souviens, enfant, image un peu lointaine
Du vieux Mas provençal parmi le grand domaine
Une draille y menait, bande étroite de terre
Trouée parmi les joncs, toute creusée d’ornières.
Le soleil se levant accrochait des rayons
A ses tuiles moussues aux reflets vermillons
Les arbres l’entouraient, faisant une couronne
Dont c’était le joyau, c’était notre royaume.
 
Mes parents y vivaient, entre l’eau et le ciel
C’était leur univers a nul autre pareil
Parmi les blancs chevaux et les grands taureaux noirs
Les couleurs du couchant auréolant le soir.
Les veillées étaient douces, devant la cheminée
Où les bûches d’ormeau doucement se mouraient
Leur lumière dansante illuminait les yeux
De ceux que nous aimions et appelions « Nos Vieux ».
Leur talent de conteur n’était jamais surfait
Ils savaient faire rire et aussi effrayer
Quand il disait pour nous les contes d’autrefois
Dans nos regards passaient la surprise, l’effroi.
Dans les coins reculés de la grande cuisine
Les jeux d’ombre mouvants, semblables a des mimes
Faisaient jaillir suivant le récit du moment
Des images de joie, des monstres grimaçants.
 
Alors mon cœur d’enfant bondissait vers ma mère
Qui un peu à l’écart, assise droite et fière
Avec son doux regard toujours posé sur moi
Qui disait, ne craint rien, je suis là prés de toi.
Et nous nous blottissions, mon frère et moi, fidèles
Nous promettant, demain, d’aller cueillir pour elle
La jolie saladelle, de grands bouquets de fleurs
Déposant a ses pieds nos offrandes et nos cœurs.
 
Enfin, le lendemain, le grand jour revenant
La lumière dorée, le soleil éclatant
Nous ramenaient nos jeux, nos disputes, nos rires
C’était il y a longtemps, mais qui pourrait me dire
Qu’il n’a jamais songé, avec nostalgie
A ces moments d’amour, pourtant pas très lointain
Images un peu floues, aux reflets incertains.
 
Les grands matins d’hiver où les étangs glaçaient
Avec les vieux gardians, mon père nous menait
Sur la vieille charrette, perchés sur les ballots
Offrir la paille fraîche, arriber les taureaux.
Formant un long cortège, les bêtes affamées
D’abord assez craintives, mais vite rassurées
Nous entouraient alors, immense masse noire
Et nous quittant bientôt, pour s’en retourner boire.
Ces souvenirs anciens ont fait de ces enfants
Que nous étions alors des hommes maintenant
Qui pourtant n’oublient pas, gardant dans leur mémoire
L’image du Vieux Mas, début de leur histoire.


Pierre Bourcet
Port-Saint-Louis du Rhône
Février 1986

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