Chants, danses, poésies, théatre, conférences, expositions, discours, cortèges ... La culture d’Oc est à l’honneur dans ce petit village des Alpes qui le temps de quelques jours s’illumine d’accents différents.

C’est dans cette ambiance que les groupes se réunissent pour monter le spectacle du Samedi soir. Il y a là des tambourinaires, des chanteurs et des danseurs. Ils viennent du Piemont, des Alpes, du Littoral, de Camargue. Tous ensemble, sous la direction de Michel Benedetto, ils ont quatre heures pour créer l’illusion. L’illusion que nous sommes le 13 Mai 1882 à Forcalquier, lors de l’inauguration du Viaduc des Latins. Le fil rouge est tiré, les groupes se succèdent, enchantant la vue et l’ouie du public qui a répondu présent pour ce spectacle, extraordinaire mélange de genres et de styles passant de la danse moderne au chant traditionnel.

Et la magie de se poursuivre le lendemain. Une messe en plein air, des cortèges, un discours, une cour d’Amour dans un théatre de verdure, une pièce de théatre en Provençal finissent de parachever cette toile de maître.

Le félibrige défend la langue, la lengo nosto. Au moment où à l’assemblée Nationale on commence à se pencher sur les langues régionales, à tenter de traduire en droit français la charte européenne sur les langues régionales, cette Sainte Estelle a montré que la diversité des dialectes d’Oc forme un ensemble de peuples tenant à leur identité, et surtout à des racines qu’il ne saurait être question de négliger. La langue d’Oc est riche de cette mosaique. Languedoc, Provence, Bearn, Gascogne, Alpes, Piémont forment des limites de cartes imaginaires mais réelles dans l’esprit de ceux qui y vivent.

Je laisse aux spécialistes, linguistes, sémantistes, ethnologues et autres grammariens ou historiens le plaisir de m’expliquer que j’ai mal compris tel ou tel passage. Telle une bible, les écrits des poètes sont empreints de fougue et de passion, mais ne sont pas toujours des modèles de rigueur. Ils étaient et sont des poètes, non des politiques. Leurs discours touchent le coeur avant l’esprit, de sorte que chacun y puise ce qu’il venait y chercher. Un provençal mistralien et un occitan convaincu pourront discourir ensemble, en évitant soigneusement certains sujets comme la légitimité du Provençal par rapport à l’occitan ou l’inverse. Ils parlent l’Oc, mais pas le même.

Qu’importe à mon sens cette dissension. Elle est mineure tant qu’on me permettra d’apprendre l’un sans me contraindre à apprendre l’autre.

Pour parvenir à une cohésion nationale, les derniers siècles se sont évertués à gommer les différences, les particularismes. Quelques voix pourtant avaient fait remarquer qu’il fallait faire l’inverse. Michel Bréal disait [1] : « L’élève qui arrive à l’école parlant son patois est traité comme s’il n’apportait rien avec lui ; souvent même on lui fait un reproche de ce qu’il apporte, et on aimerait mieux la table rase que ce parler illicite dont il a l’habitude. Rien n’est plus fâcheux et plus erroné que cette manière de traiter les dialectes. Loin de nuire à l’étude du français, le patois est le plus utile auxiliaire. On ne connaît bien une langue que quand on la rapproche d’une autre de même origine... Introduisez le français, tout en respectant le dialecte natal... L’enfant se sentira fier de sa province et n’en aimera que mieux la France. »
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« D’autres ont sans doute éprouvé comme moi un sentiment qui m’a souvent saisi, quand je causais avec des gens ayant reçu l’instruction de nos écoles primaires. On dirait que leur existence morale a été déracinée ; il n’appartiennent plus ni à la campagne ni à la ville, ni au peuple ni à la bourgeoisie. Dépaysés chez eux, il n’y a guère que l’administration ou l’armée qui puisse encore leur servir de patrie. Aussi les voit-on déserter sans peine une commune qui n’est pas plus la leur que les trente mille autres de la France. Une instruction incolore et uniforme en a fait d’avance des agents de l’autorité centrale. »

Quoique mineure, la dissension continuera d’exister. Cessons donc de parler de "la langue d’Oc", celle ci n’a jamais existé. Le Provençal, le Languedocien, le Béarnais, le Gascon, l’Alpin, le Catalan... dérivent des langues romanes des troubadours via de longs chemins tortueux. Elles ont gardé de mêmes formes, mais se sont localement enrichies.

« Une langue est un tumulus, c’est une antique carrière où chaque passant a jeté sa pièce d’or, d’argent ou de cuivre ; c’est un monument immense où chaque famille a apporté sa pierre, où chaque cité a élevé sa colonne, où une race entière a travaillé corps et âme pendant des centaines et des milliers d’années [2] »

[1dans son ouvrage Quelques mot sur l’instruction publique en France

[2Mistral, la lengo dou miejour

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