Tradicioun va au Grand Radeau.

La "Journée en Pays" est un moment privilégié en Camargue. Cest un moyen pour ceux qui n’ont jamais vu un biòu de Course Camarguaise de découvrir les coulisses de ce sport. Pour ceux qui aiment les Biòu, la journée en pays est une activité à part entière. Comme on aime aller voir un biòu en course, on aime le voir déambuler nonchalamment sur ses terres.

En effet, avant que d’être un sport, la fé di Biòu est avant tout une passion, une tradition, un morceau de vie. Ici les taureaux sont calmes, placides. En liberté dans ces espaces, on les découvre libres de contrainte, soignés, choyés par des manadiers et gardians passionnés.

La rencontre avec les manadiers est toujours un plaisir. Un jour de course dans les arènes, ils ont la tête ailleurs, des préoccupations plus immédiates. Chez eux, lorsqu’ils reçoivent un groupe, ils tiennent à faire découvrir l’immense bonheur de vivre au milieu de leurs bêtes.

Alors Tradicioun s’offre une journée en Pays, à la recherche d’un de ces moments d’éternité.

Un privilège

La journée commence tôt à Port Saint Louis du Rhône... Un des photographes a demandé et obtenu la faveur de pouvoir venir faire quelques photos, tôt le matin. Il décolle donc de la rive gauche de l’embouchure du Grand Rhône pour la rive droite de l’embouchure du Petit Rhône, traversant l’ensemble de la Camargue en quête de ces quelques clichés d’exception. L’accord donné était la première surprise de la journée, les manadiers ne goûtent guère d’ordinaire des trublions pendant le tri des cocardiers de la course. Constituant un élément inattendu et toujours plus ou moins au milieu, les invités ne facilitent pas les choses, rendant nerveuses les bêtes.

Ce matin, il faudra se faire discret...
"Bonjour, je suis Rachel. Aurélie m’a demandé de m’occuper de vous..."

Aïe... Discret sera difficile en étant reçu comme un prince, conduit, guidé... Un coq en pâte.

Même le temps est parfait pour cette journée. Un brouillard à couper au couteau inonde les marais et le jour pointant crée une ambiance comme on en voit rarement dans nos contrées plus habituées à la lumière écrasante d’un soleil de plomb et d’un vent soulevant le sable dans des volutes de poussière rien moins que pénible.

Ce matin pourtant, pas un souffle d’air ne vient agiter les tamaris. Le premier son entendu est le bruissement de la queue d’un cheval se fouettant la croupe... Et plus rien... Le temps s’est suspendu.

Les manadiers et gardians se préparent... Tranquillement, doucement, à l’unisson de cette matinée de brume. Jean s’approche de son van, tire quelques crins de la queue de son cheval, comme une invitation qui suffit à le faire reculer et sortir docilement. Les gardians partent chercher la manade en pays dans une ambiance onirique, disparaissant dans le silence et le brouillard.

De retour au clôt de tri, au pas, les cocardiers se laissent faire. les cavaliers se placent, et les chevaux Camargue finissent là et maintenant de prendre toute leur dimension. L’unité qu’ils forment avec leur cavalier est incroyable. On ne sait plus s’ils répondent aux sollicitations ou si c’est eux qui trient les bêtes. Tranquillement, un gardian isole Marco-Mau qui part à Cavaillon, et son simbèu qui va l’accompagner.

Un petit déjeuner plus tard et l’occasion de quelques histoires, le temps que le camion qui va emmener le biòu arrive, le tri va reprendre. Sur le même rythme paisible et serein. Il faut sortir Rabino pour la Course de Vauvert. Trié avec la même facilité et sans stress, il sort rapidement du troupeau et est poussé dans le bouvau. Il est guidé dans le Camion où Frédéric va l’encocarder. Rabino est méchamment embanné. Il est grand, ses cornes touchent les planches du toit. Et toujours cette même facilité, cette même sérénité guident les mains du manadiers, la tête à moins de 10 cm de la corne droite d’un taureau qui semble presque faire attention à ne pas bouger pendant qu’on lui noue les ficelles...

Pas le temps de s’éterniser pour le photographe, invité à aller arriber. Les cocardiers sont tous là, attendent le fourrage patiemment.

Sagement assis dans la voiture, je m’entends dire "Vous pouvez sortir...".
Que voila une invitation qu’il n’est pas nécessaire de renouveler. L’occasion est belle de faire quelques photos de rêve, loin des arènes, des barrages. Téméraire, je reste collé à la voiture, je n’ai rien à faire là et ce tàu de trois ans qui me toise fièrement à moins de 15 mètres semble aussi se demander ce que fait cet individu un genou en terre à le regarder bizarrement.

Et le manège commence, au passage de la charrette, les biòu viennent manger. Le brouillard s’est levé, mais a laissé sur les marais cette atmosphère de paix dont elle l’avait enveloppé au petit matin.

L’Arrivée du groupe

De son coté le groupe arrive à la manade pour y découvrir la plus belle des surprises de la journée. La présidente de Tradicioun tenait à faire de cette journée un temps de partage de passion. L’association est venue ici pour communier avec les manadiers autour de l’héritier du ’Dieu Mithra’ et partager l’amour du costume traditionnel. Ainsi Magali, Marie-Ange, Nais, Annie, Camille, Cathy, Isabelle, Eric et David porte ’lou vesti d’antan’.

La surprise est que les dames de la famille se sont habillées. Aurélie, Aude, Lydie et Chantal sont en cravate. Ce cadeau si particulier de la famille Raynaud est magique, les membres de l’association, amoureux des taureaux et passionnés de costume, étaient venue partager la passion des manadiers et voilà que ceux-ci passionnés de taureaux et amoureux du costume tenaient à partager la passion de Tradicioun.

La journée inclut un tour sur les terres, à la rencontre des vaches et des veaux. Nous voilà donc dans la charrette, au milieu des enganes, se dirigeant vers l’ouest et le clocher à peigne si reconnaissable des Saintes Maries qui se découpe sur l’horizon. Au bout d’un chemin qui serpente sur cette terre où le sel ne laisse rien pousser à part la sansouire et la salicorne, un groupe de cavaliers apparait, poussant un troupeau au pas. Passant derrière un étang, la troupe provoque l’envol d’un groupe de flamants roses, seule et unique perturbation de la paix de cette matinée...

Du Baudelaire
"Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, Calme et Volupté"

La charrette conduit avec les cavaliers le troupeau jusqu’à un clôt de tri. Une promenade. Sans stress pour les bêtes.

Là, les manadiers répondent aux questions de ces touristes du jour. A commencer par Ratis, évidemment. Il occupe tous les esprits. Le biòu vedette de la manade est sortie le dimanche précédent pour la finale des olives à Mouriès, où il a été énorme comme a son habitude, remportant au passage de prix du meilleur taureau de la finale. Le numéro 560 est sorti aux Saintes Maries de la Mer en avril, à Marguerittes en Mai, à Beaucaire en Juillet, à Saint Géniès des Mourgues en Août à l’avenir et à Lunel en mai et Mouriès en Septembre aux As. Il n’est jamais passé à travers, faisant bouillir les gradins à chacune de ses prestations. Volontiers barricadier, il a de plus en plus de mal dans les petites arènes, où il est trop vite à la planche. Dimanche encore il a tapé fort. Mais le taureau va bien. Honneur suprême il va participer le mois prochain à la finale des As à Nimes, alors qu’il n’était pas classé aux As cette saison. Mais le trophée taurin voulait pour cette finale les 7 meilleurs taureaux de la saison.
Il en fait partie.

Il est secondé par d’autres espoirs de la manade, dont deux sortent justement aujourd’hui, l’un à Cavaillon à l’Avenir, l’autre aux As à Vauvert.

Marcel parle de sa manade, de cette terre magnifique sur laquelle rien ne pousse, les vaches trouvant à manger le long du Rhône où l’eau douce repousse suffisament l’influence du sel pour laisser une bande de terre que l’herbe peut investir. Il explique le métier, présente la famille. Une famille qui travaille ensemble, lui avec son frère faisant partie d’une dynastie débutée avec Mathieu "Papé" Raynaud secondé et suivi par son fils Joseph, puis Casimir et Jacques ses petits fils. Et la famille d’éleveurs continue l’oeuvre initié par l’ancètre. Et encore aujourd’hui, la SNC manade Raynaud est tenue par Jean et Marcel les fils de Casimir et par Frédéric qui a racheté la part de son oncle Jacques constituant ainsi la 5e génération. Et ce n’est pas fini... la relève est là toute prête avec Aude, Aurélie et Antonin... Tous partageant la même fé di Biòu, tous là aujourd’hui pour recevoir un petit groupe de personnes, déployant la même énergie et le même engagement que si nous avions été 120...
Il évoque aussi les caprices du temps, en réponse à une question sur les inondations. En 1982, ce qui avait été nommé alors la tempête du siècle a tué tout un lot de vaches qui avait trouvé refuge sur une montille qu’un paquet de mer avait débordé. Un premier coup dur que la perte de ces bêtes suivi par un autre non moins dur, l’assurance ne couvrait pas cet accident parce qu’il ne s’était pas produit dans l’étable. Difficile d’imaginer une vache camargue se noyant dans une étable...

Il est temps de montrer le travail, le tri. Cinq vaches sont séparées, parmi lesquelles Pin-Up, Antonin y tient. On y retrouve les même gestes que le matin. Pas de cirque, pas de démonstration, pas de cris. Toujours cette même unité Cavalier-Monture. Un autre moment de danse. Antonin est content, Pin-Up est sortie.

La promenade se poursuit aux arènes pour une vache emboulée pour ceux qui auraient envie de s’amuser. Deux de nos adhérents vont aller s’amuser. Ils aiment ce monde de bouvine, ont déjà fait cela. Bruno a même déjà raseté une saison en pointe. Avec Frédéric ils jouent un moment à faire courir une vache qui ne demandait pas autre chose.

C’est la fin de la promenade.

Il est temps de s’appuyer au comptoir. Ici Marcel et Jean racontent des anecdotes, là des dames parlent chiffons... Quels autres sujets auraient ils pu trouver leur place dans cet instant perdu au milieu de nulle part, "enfin" détaché d’un monde trop rapide.

Il est enfin temps de s’installer et de goûter enfin l’anchoiade et la gardianne de la Famille Raynaud. Un monument, et le moment de discuter, encore et encore...

La journée est passé trop vite.

Tradicioun était au Grand Radeau, et y a découvert une famille extraordinaire...

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