Fashioning Fashion
Deux siècles de mode européenne 1700-1915

Paris, le 12/12/12

Il y a des soirs où l’on se sent excité comme un enfant attendant la venue du Père Noël.
Ce soir l’enfant c’était moi et le cadeau c’était " Fashion " en vrai !
Et puis comme dans tous les rêves agréables, il y a toujours des embûches, qui empêchent de le vivre pleinement.

Ce soir ce fut le cas.
Ascenseur en panne, métro à l’arrêt entre deux stations, 20 minutes.
L’heure tourne, mon rendez-vous est important ! Pourquoi ce soir rien ne va ?

La lumière se rallume dans la rame. Mon invitation à la main, ouverte, comme pour me rappeler que l’heure H était bientôt là.
Je ne laisserai pas le réveil sonner avant d’avoir finit mon rêve !!!

Sortie du métro. Les gens "renconnent". Si seulement ils connaissaient la définition du mot que j’emploie à voix haute...

4 degrés en dessous de zéro, même pas froid. J’ai vraiment la sensation d’être retombé en enfance comme quand :
" Chéri sors de la piscine ! Tu as froid,tes lèvres sont toutes bleues !! " et naturellement, en grelottant tu réponds que non tout va bien.

La bannière rouge verticale sur le mur du Louvre Côté Rivoli apparaît enfin : "LES ARTS DÉCORATIFS".
C’est pire que d’être en retard un matin de fête des gardians.

Je regarde l’heure, me rends compte que je ne suis pas en retard et que de toute manière c’est une nocturne !
J’y attends une amie, passionnée de costume elle aussi, mais terriblement parisienne : Clémence Troesch (non ce n’est pas une blague).

Aussi impatiente que moi, nous sommes au pied des marches, parmi le beau monde de la Mode.
Nous montons et entrons enfin dans la première salle.
Fashion, fashion in details, ces ouvrages que l’on connait parfaitement, ces robes dont on est capable de donner le nombre de plis, ou les couleurs composant les broderies d ’un ensemble d’homme du 18ème siècle sont là, face à nous.
Nous nous surprenons à marcher délicatement et murmurons comme si nous ne voulions réveiller personne, ou par humilité ?
L’euphorie s’est transformée en fausse timidité et nous avançons comme si nous découvrions pour la première fois les modèles, scotchés dès la première vitrine, et ce jusqu’à la dernière.

L’ambiance est parfaite. Couleur de murs sombres et neutres, lumière tamisée forçant au calme et à la concentration.
Les informations sont riches et denses, mais nous avons du mal à faire vitrine après vitrine méthodiquement.
Papillonnant, voulant tout voir, nous traversons le 18ème siècle et le 1er Empire.

En bon chauvin , je m’attarde et explique à mon amie les origines et les techniques d’un jupon en soie matelassé et entièrement rebrodé, d’un gilet d’homme boutissé ou encore de l’enveloppe provençale.
Une robe a retenu également mon attention. Elle est en coton blanc, dit à la française, avec ses plis plats dans le dos et son jupon assorti, entièrement rebrodés de grands bouquets de fleurs en fils de laine polychrome, non pas sans rappeler l’ensemble de droite du tableau "L’atelier de couture" d’ Antoine Raspal.
De dos, notre parisienne et notre arlésienne sont semblables. Le droulet ou casaquin imite les plis de la robe en se posant sur un jupon assorti.

Le jeu parfait des miroirs nous permet de pouvoir, des yeux, faire le tour des silhouettes.
Après un passage remarquable par la Révolution française, rien ne sera plus jamais pareil.
L’amour de l’antique s’offre à nous de manière fabuleuse et se décline, de l’enfant à la cour du Portugal.
La place de l’homme dans cette exposition n’est pas minime. les messieurs passionnés y trouveront peut être bon nombre de réponses à leurs interrogations ou d’inspirations pour leurs prochains bals.

Je croise un ami, marchand de textile à Marseille, mais le tout Paris est là, portant plus d’intérêt pour une fois, à l’exposition qu’à notre Ministre de la Culture Aurélie Filipetti, aux autres officiels, ou à un éventuel buffet.
Au premier pas franchi dans la salle, les réseaux cellulaires semblaient ne plus fonctionner sur personne. Plus aucune notion de temps, seulement celle de l’Histoire.

Des étudiants en histoires de la mode ressortent à leurs amis et familles des cours magistraux sur la symbolique. Chacun y va de son commentaire devant chaque vitrine mais tout le monde s’écoute.
Tout le monde n’est pas ici pour rien, loin des :
" dans mon groupe on dit que" ;
" ah non c’est a 12,54 cm du bas de la jupe que s’arrête le tablier, de l’age de 6 ans à 11 ans et 2 mois" ;
" les plis sont toujours profonds de 8 cm et pas de 9 !"

Il n’y a pas deux tenues identiques, pas deux montages de plis les mêmes. Pourtant tout est vrai, tout fonctionne, tout semble vivre !
L’oeil s’aiguise, s’affine si l’on sait observer.

Nous empruntons les escaliers et arrivons en plein romantisme.
Il n’y a qu’a froncer les yeux, et nous sommes à nouveau à Arles....
Mesdames, oubliez une peu les "Aco se fai ! Aco se fai pas !"
La priorité, l’élément clé de l’élégance en costume c’est la ligne, l’allure.
Pas l’allure naturelle qui vous est offerte à la naissance en cadeau de votre aïeule Vénus, l’autre, celle du respect des formes qui ont fait les modes.

Le 19ème siècle est marquant par ses changements de silhouettes. _ Vous y trouverez des réponses là aussi, mais bien plus que le pourquoi : le comment !
Grandes manches gigots , crinolines projetées, robes à la "ligne princesse", tenue d’équitation, une centaine de mannequins dans un parcours clair et chronologique.

Les coiffures sont évidement parfaitement réalisées et volontairement effacées en blanc afin de ne mettre en valeur que les vêtements, les matières.
Mais elles restent indispensable. Une tenue ne se lit pas correctement si la coiffure n’est pas maîtrisée et là aussi à l’année près.

Clémence, qui travaille aussi profondément sur le costume, a bien conscience également que tout passe d’abord par le regard ensuite par le geste.
Pour certaines coiffures, elle passe jusqu’à trois heures seule devant son miroir. De quoi nous plaignons nous, quand on pense que la coiffure la plus élaborée de l’Arlésienne, se compose de deux bandeaux torsadés de part et d’autre d’une raie médiane, s’accrochant à un peigne.

Le Rêve, l’impression d’être rentré dans le livre et de se balader de page en page.
Je me surprends à rester un long moment devant un mannequin en corset de cuir noir, culotte fendue noire et cuissardes à intérieur rouge, en m’interrogeant sur : Quelle femme portait cela ?
Ma voisine, au carré noir parfait et aux lèvres rouges, pour qui les sous-vêtements n’ont aucun secret me répondit : "une Femme bien dans ses bottes !". (Chantal Thomass)

Suzy Menkes, rédactrice en chef entre autre de l’International Herald Tribune déambulait d’une époque à l’autre.
Acteurs, écrivains et noms illustres de la Mode sont venus ce soir chercher du réconfort ou de l’inspiration dans cette fabuleuse rétrospective, dans ce livre sans couverture.

Du rêve de papier à la réalité.
Je vous conseille à tous de venir à la capitale découvrir cette exposition, jusqu’au 14 avril.

Je pense et je dis : "Si l’on veut comprendre l’Arlésienne, il faut comprendre la Mode, elles sont indissociables. Pour comprendre la Mode il faut connaitre l’Histoire, et l’Histoire c’est la Vie."

Clément TROUCHE