Patricia et Magali se sont lancées dans l’organisation d’ateliers.

Le but de ces ateliers est de permettre aux participantes d’apprendre à se constituer des costumes.

Elles ont donc imaginé un programme des plus serrés. Une arlésienne doit pouvoir maitriser :

• la jupe ronde
• la jupe biaisée
• la Jupe à plis canon
• le Sac à main au crochet
• le chauffe épaule
• l’eso
• la broderie
• Le Jupon

Il n’est pas question pour autant de donner des cours théoriques, les deux comparses imaginent une formule d’ateliers pratiques dans lesquels chacune vient se constituer ses propres costumes.
Elles n’imaginaient pas le succès de ces ateliers. S’attendant à recevoir au grand maximum une demi douzaine d’étudiantes, c’est le double qui est venu.
Ces ateliers ont commencé il y a tout juste 18 mois. Jupe ronde, biaisée ou à plis canon, eso, chauffe épaule et bourse au crochet, jupon, blouse et fichu, les étudiantes se sont déjà constituées une partie de leur garde robe.

L’ambiance est débridée et studieuse. A raison d’un atelier par quinzaine, il n’y a pas de temps à perdre. Alors si tout le monde rit et s’amuse, le travail avance, et le rythme est soutenu.
Prise de mesures, découpes, coutures, repassage... Ces dames et demoiselles sont organisées dans les locaux de l’école de musique d’Eyguières.

Il nous est souvent demandé où il serait possible de "louer un costume d’arlésienne", où "acheter une tenue d’arlésienne", où se "faire faire un costume d’arlésienne"... Et de devoir décevoir ces personnes... On ne peut "acheter ou louer" un costume, il faut le composer.
Cela fait partie de la démarche.

C’est avec ce but qu’ont commencé les ateliers. Ils visaient et visent toujours à transmettre ce que ces femmes auraient du apprendre de leur mère, leur grand-mère si l’usage s’était perpétué. Il est nécessaire aujourd’hui de renouer ce lien, cette tradition. La tradition est "l’ Action, la façon de transmettre un savoir, abstrait ou concret, de génération en génération par la parole, par l’écrit ou par l’exemple".

Dans les faits, ces ateliers réalisent plus qu’un noeud dans ce fil brisé, une épissure. Nombre d’étudiantes venues à ces ateliers sont des mères de familles réalisant les costumes de leur fille. Elles leur transmettront certainement les pièces de leurs costumes mais probablement l’art et la manière de les constituer.

Des ateliers au cours Magistral

Ces mamans apprennent les étoffes, les motifs, les formes, les découpes. Elles doivent aussi et surtout apprendre l’équilibre. Si strict qu’il paraissent dans sa conception et la froide description des pièces le constituant, le costume d’Arles est un vêtement, pas une armure.
Il doit s’adapter à la morphologie de la femme, le contraire étant strictement impossible. Mal posé, un fichu ne contraindra pas le corps, mais subira la pose des épingles en restituant amplifiées les erreurs commises.

Dans son ouvrage "L’Art du costume d’Arles", Nicole Niel enseigne l’équilibre vers lequel doit tendre l’arlésienne. Entre géométrie et arts plastiques, elle décrit ce que les dames et demoiselles doivent prendre en compte lorsqu’elles s’habillent. Tailler son costume signifie avant tout apprendre à se regarder, ce que nombre d’arlatenco négligent de faire. Elles taillent coupent et montent alors qu’elles pourraient transcender leur silhouette en rehaussant ou en descendant leur taille, reéquilibrant leurs volumes. En modifiant simplement de deux centimètres la position de la pointe de leur fichu ou de leur pelote, elle modifierait totalement le dessin de leur corps.

L’étape la plus facile à aborder est la pose de la Chapelle. Elle est aussi la plus négligée.
Le dernier atelier de Tradicioun a vu une de ses éminentes membres venir faire une démonstration de l’effet produit par la pose de la chapelle après une simple analyse du corps.

Nicole Niel est une professeure dans l’âme. Elle a passé sa vie à enseigner et en garde le ton, l’approche. Autour d’elle la salle est comble. Bloc notes en main, les couturières écoutent, regardent et assimilent cette notion. Stéphanie prête son concours à une démonstration. Le but est de prouver quel point il est facile de "modifier" un corps en jouant uniquement sur la largeur de la chapelle.

En préambule de ses démonstrations, Nicole revient sur le plissage des fichus, et la notion d’amidonnage. Trop amidonné, les plis se cassent, et manquent de souplesse. Trop peu, ils ne se tiennent pas. Elle regarde et touche (on regarde aussi et surtout avec les doigts) les tissus apportés par les étudiantes, leur fait écouter le tissu qui chante ou claque trop ou trop peu. Un fichu trop amidonné peut être plissé, mais son rendu ne sera pas le même. Il apparaitra cartonné, et surtout n’autorisera aucune erreur de plissage. La première fois devra être la bonne.
Le plissage. Encore une étape primordiale, mais qu’il est parfois difficile de faire au calme et à plat dans son intérieur... Alors il faut apprendre à plisser son fichu, assise sur une chaise. S’ensuit une démonstration avec un fichu de dessous trop amidonné, mettant en exrgue la montagne de problèmes que pose une telle pièce de tissu.
Nicole poursuit avec un fichu non amidonné, et montre plus qu’elle n’explique (il n’en est pas besoin) les soucis posés alors.

Une première pose stricte d’une chapelle étroite sert de base au raisonnement. Les plis sont serrés, et la chapelle étroite allonge le buste. une "erreur" sur cette jeune fille grande et mince. Il aurait fallu au contraire jouer sur la taille de cette demoiselle et ouvrir la chapelle afin de la mettre en valeur.

Rapidement, Nicole "démonte" et "remonte" Stéphanie. Tout en expliquant ses gestes, sa façon de regarder, son analyse finale l’aide à placer le fichu de dessous, élargissant les plis, jouant avec les courbes. Son coté prof d’art prend le dessus, elle dessine et sculpte tout en parlant.

Elle termine...
Stéphanie est splendide...
Mais Stéphanie est belle quoi qu’il arrive...

L’analyse comparée des deux photos est, elle, frappante. Un peu comme un "Ne faites pas l’image de droite"... "Faites plutôt l’image de gauche".

Il y a bien une façon de faire à éviter. La pose stricte cum libro : "Première épingle à 4 centimètres de..." est une ânerie. Il faut connaître les vraies règles, celles qui s’adaptent à la morphologie, et conserver l’esprit critique dans tout ce que l’on fait. Une question en suspens, qui se termine par "Mieux ou moins bien ?" doit diriger chaque geste.

Bien entendu, la largeur de la chapelle n’est qu’une étape d’un ensemble. Sous couvert de cet enseignement, Nicole a fait passer une foule de messages.
Le benitier doit se trouver sur une ligne joignant les épaules pour une harmonie sans cassure des horizontales.
_ La guimpe doit dégager le cou, accompagnant sa naissance, sans étrangler le modèle ou disparaître sous le fichu. Nicole ne peut passer sans rappeler que la guimpe n’a rien d’une obligation dans le costume contemporain, celle ci a en effet disparu dans la dernière évolution du costume.
Le fichu de dessous doit mettre en valeur le fichu de dessus, si ce dernier est transparent, il serait intelligent de la part de mademoiselle de penser que l’arrêt abrupt de ce fichu au milieu du dos est inesthétique au possible.
Les épingles d’épaule sont elles placées suffisamment loin, autrement dit : est ce que votre main droite peut replacer l’épingle gauche ?
Souvent placée trop près de la ligne médiane du corps, cette épingle ne tient pas le premier pli qui se tourne en "aile de pigeon cassée" tout aussi peu esthétique, mais qui fut à la mode à une certaine époque.

Au final, l’après midi a revisité l’arlésienne. La prof avait espéré un atelier dans lequel les filles seraient venues essayer, mais celles ci quelque peu intimidées sont venues suivre un cours magistral, durant lequel le photographe a encore changé son regard, apprenant tout autant que les couturières et modèles.
Libérée des contraintes liées à l’avancement technique d’un groupe elle a transmis plus qu’elle n’avait imaginé. Une certaine image, un état d’esprit.